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Le premier tour des élections en France

Et les aveuglements sur Mélenchon en Italie

19 Aprile 2022
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Le premier tour des élections législatives françaises voit l’effondrement des anciens partis de la Cinquième République. Les deux partis qui, pendant des décennies, ont assuré l’alternance au sommet du gouvernement de l’impérialisme français sont en fait en phase de dissolution : les Républicains de tradition gaulliste à 4%, le Parti socialiste à 1,7%.
L’ascension de Macron en 2017 a été à la fois un effet et un concomitant du déclin de la bipolarité traditionnelle. Cette élection présidentielle a conclu le processus. L’ancien électorat républicain s’est largement rassemblé autour du Président (27,8%) par réflexe conservateur naturel. Le Pen (23,1%) a augmenté le consensus autour de lui, malgré la nouvelle concurrence de Zemmour, mais sans percer. Mélenchon a polarisé une grande partie de l’électorat de gauche avec un succès électoral incontestable (21,9%), ratant de peu le second tour. Zemmour (7%) n’a pas réussi à percer chez Le Pen.

Ce tableau d’ensemble reflète les difficultés de la Cinquième République. Macron a amélioré son résultat à la précédente présidentielle mais s’accroche au sort du second tour. Il se présente comme un homme fort, défendant les institutions et l’Union européenne dans les moments difficiles de la pandémie et de la guerre. Mais après cinq ans de gouvernement, il a épuisé la force de propulsion de sa tromperie. L’"homme du changement" de 2017 est et apparaît aujourd’hui comme le garant de la conservation, profondément détesté par une grande partie de la société française. "Le président des riches" marque son image publique au sens commun, et creuse un profond sillon autour de lui.

La dynamique de classe de son quinquennat a nourri ce profil: d’abord le mouvement des gilets jaunes, et son emprise interclassiste sur les secteurs petits-bourgeois et populaires; ensuite le mouvement de classe contre la réforme macronienne des retraites, avec ses traits et ses actions radicales jusqu’au bout; et enfin les mouvements no vax, avec leur charge réactionnaire et affabulatrice. Ces processus, qui différaient les uns des autres ou étaient même antithétiques dans leurs valeurs de classe, ont opposé au gouvernement un sens commun adverse et composite, qui dans l’ensemble était majoritaire. Soixante pour cent de l’électorat a voté d’abord et avant tout contre Macron avant de voter pour son candidat.
La répartition sociale et électorale du vote a été importante. Le Pen a rassemblé principalement dans les campagnes, dans les provinces profondes, mais aussi dans des secteurs importants du travail salarié en usine. Macron a concentré la majorité de ses votes dans la réalité urbaine, notamment dans les centres métropolitains. Mélenchon capitalise sur un vote jeune, urbain et ouvrier. Le bloc électoral de Macron est donc assiégé. L’issue du second tour dépendra de sa capacité à le dépasser.
Macron fait appel comme il l’a fait en 2017 au front républicain contre l’extrême droite. À l’époque, l’appel a été largement couronné de succès, comme le montre l’énorme écart final entre les deux candidats au scrutin. Aujourd’hui, la situation est plus compliquée. Le réflexe conditionné anti-lépéniste, bien que présent et répandu, s’est affaibli. Les politiques d’austérité de Macron, son programme répété de recul de l’âge de la retraite, sa posture élitiste et irritante, sont les armes que Marine Le Pen brandit pour appeler à voter contre Macron. " Marine " s’est employée au cours du quinquennat à renouveler son image publique pour mieux masquer le profil réactionnaire de son programme (abolition du jus soli (droit du sol), "Français d’abord" dans l’accès au travail et aux services publics, etc.), pour mettre en avant une attirance factice pour la "question sociale", afin de se rendre moins repoussante aux yeux de secteurs plus larges de l’électorat. Paradoxalement, la présence de Zemmour sur sa droite, au lieu de l’affaiblir, a favorisé l’opération de repeinture et de légitimation. Il est certain que si Macron remporte le scrutin, il ne gagnera pas avec le plébiscite d’il y a cinq ans.

Mélenchon avec ses 22% est la surprise du vote présidentiel. Il a capitalisé sur le vote dit utile à gauche, au détriment du PS, du PCF, du NPA et de LO. Et bien qu’il ne soit pas parvenu à se faire élire, il est un acteur majeur de la politique française. Mélenchon a sans doute récolté les bénéfices électoraux des mobilisations de classe pour la défense des retraites, de l’attention de millions de jeunes en quête d’un avenir différent de leur présent, et de la demande de la jeune génération pour un tournant environnemental. Mais la nature des questions posées ne correspond pas à celle des réponses proposées.

Mélenchon a bénéficié au fil des ans de l’effondrement du Parti communiste français et de la désintégration de la social-démocratie française dans le sillage du gouvernement Hollande.

Mais son succès s’est construit aussi en partie avec les débris sortis de cet effondrement, à commencer par la dérive populiste de larges pans de l’opinion publique, même parmi le peuple de gauche. La jubilation rhétorique avec laquelle Potere al Popolo et Rifondazione Comunista en Italie ont salué le succès de Mélenchon reflète une appétence compréhensible pour son résultat, mais cache également des éléments plus gênants quant à sa signification.

Mélenchon est un champion du transformisme politique. Ancien membre de la franc-maçonnerie (de 1983 à 2019), ancien dirigeant du Parti socialiste, ancien ministre du gouvernement Jospin (1997-2002) qui a bombardé Belgrade, Mélenchon a refondé son personnage à gauche depuis 2008, avec la constitution du Parti de Gauche, puis avec la création en 2016 de La France Insoumise (LFI). Les élections présidentielles de 2012 (11%) et 2017 (19%) ont fortement renforcé son image publique. Mélenchon est d’abord et avant tout ... Mélenchon. La plus haute expression du personnalisme politique égocentrique dans l’histoire de la gauche française. Ses créatures politiques, en particulier la LFI, sont des météores fragiles autour de sa figure. Toute demande d’organisation démocratique de la nouvelle formation a été rejetée comme nuisant à la liberté scénographique de Mélenchon sur la scène de la politique française.

La nature politique de la LFI reflète la nonchalance de son inventeur. C’est un assemblage de revendications sociales-démocrates et souverainistes, certes attentives aux raisons sociales des salariés mais dans le cadre de la célébration de la nation. Il y a de la place pour les revendications élémentaires d’un programme redistributif minimum (augmentation du SMIC, retraite à 60 ans, réduction de la précarité), la lutte contre la pollution, la défense de l’éducation et de la santé publique, mais aussi la revendication de la "grandeur de la France", de son "indépendance", de ses raisons contre l’exubérance de l’Allemagne voisine et "son excès d’exportations". Avec des mesures protectionnistes sur les importations et la "primauté de la production nationale". La sortie de l’OTAN que Mélenchon revendique (mais seulement, littéralement, "petit à petit") est faite au nom de l’indépendance militaire de la France, avec une référence explicite à la sortie de De Gaulle en 1966. C’est l’indépendance nationale de l’impérialisme français. L’Union populaire qui a formellement signé la campagne électorale de Mélenchon est présentée comme "l’Union des Français". Ses manifestations publiques célèbrent l’hymne national marseillais et arborent le tricolore au lieu du drapeau rouge. A l’ombre du tricolore de la France, il supprime le droit de séparation des colonies et courtise les humeurs les plus disparates, y compris en faisant un clin d’œil aux no vax au nom de la liberté sanitaire. Le "peuple contre l’élite" est le schéma qui résume tout.

Les références internationales de Mélenchon se retrouvent dans le cartel politique nommé "Maintenant le peuple" formé en 2018 avec l’espagnol Podemos et le portugais Bloco de Esquerda, non sans références aux campagnes de Sanders aux États-Unis. La déclaration fondatrice du groupement porte le titre "Pour une révolution démocratique en Europe". Mais Podemos a maintenant quatre ministres dans le gouvernement de l’impérialisme espagnol, le Bloco s’est abimé pendant des années dans un soutien suicidaire au gouvernement de la social-démocratie lusitanienne, Sanders gouverne à la remorque de Biden la plus grande puissance impérialiste du monde. Dans tous les cas, la "révolution démocratique", quelle que soit sa signification (rien, en réalité), a cédé la place à la conservation bourgeoise. Bref, Mélenchon récolte son propre succès chez lui quand le populisme de gauche s’efface ailleurs, montrant toute l’incohérence frauduleuse de sa politique : l’occupation d’un espace électoral en vue de négociations ministérielles. Certes, Mélenchon a fait une entaille à Le Pen dans l’électorat ouvrier, et c’est une bonne chose. Mais ses politiques ne définissent aucune perspective d’une véritable alternative pour les travailleurs et les travailleuses. "Un autre monde est possible", comme le titre de la campagne de l’Union Populaire, est en réalité l’éternelle re-proposition d’une réforme possible du capitalisme dans le monde actuel : une utopie conservatrice. Ce n’est pas un hasard si Fausto Bertinotti, dans La Repubblica (12 avril), a salué en Mélenchon l’événement d’une "nouvelle gauche", voyant peut-être en lui une revanche posthume sur son propre échec. Ce n’est pas un bon présage. Pas même pour Mélenchon.

La construction d’une gauche révolutionnaire – classiste, anticapitaliste, internationaliste – reste à l’ordre du jour, en France et partout ailleurs, bien au-delà du scrutin Macron-Le Pen, deux adversaires de la même classe. Et ce ne sera certainement pas Mélenchon qui l’incarnera.

Partito Comunista dei Lavoratori (traduzione a cura del compagno Freed Fx)

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